Pourquoi la France brille en IA sans que personne ne s’en rende vraiment compte

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Il y a deux semaines, la France se gaussait du chatbot Lucie, publié par Lignora avec la participation du CNRS. Il faut dire qu’il y avait de quoi se moquer. Ouverte au public, l’IA ne savait pas répondre à des questions simples et générait des affirmations le plus souvent invraisemblables. Quelques jours seulement après sa publication, elle était suspendue. Très confiant lors de sa mise à disposition auprès du public, l’éditeur est sans doute parti de l’étrange idée que tout allait bien se passer, mais ce fut un réel fiasco. Mal « vendu » sur ses capacités réelles et son intérêt, le chatbot a été clairement incompris par les internautes. Ils n’ont eu de cesse que de torturer le chatbot pour le ridiculiser.

En parallèle de ce lancement, DeepSeek faisait ses premiers pas en bouleversant les géants américains de l’IA. L’intelligence artificielle chinoise les a même fait brutalement dévisser sur les marchés boursiers. Et pourtant, à l’instar de DeepSeekDeepSeek, l’IA de Lucie présentait une véritable prouesse technologique. Conçue pour un usage scientifique, la plateforme repose sur un modèle peu énergivore, qui ne nécessite pas de quantités de données colossales. Autrement dit, si elle est loin d’être aboutie, son moteur vaut aussi bien que son équivalent chinois, pour un tarif également très restreint. L’échec de Lucie marque, encore une fois, un syndromesyndrome bien français, celui de l’autoflagellation.

Auto « Frenchbashing » sur l’IA

L’aventure rappelle l’invention du Minitel qui était pourtant révolutionnaire dans les années 1980, mais totalement dépassée par l’arrivée d’Internet. Une véritable bonne idée, mais dont le terrain de jeu était limité au territoire français. Aujourd’hui, le monde ne parle plus que d’OpenAI et de son génial ChatGPTChatGPT. Et pourtant, la France tient la barre en matièrematière d’IA. Elle le fait même avec réussite et discrétion, depuis maintenant deux ans. Gouailleurs à l’encontre du fiasco Lucie, les Français n’ont pas pris soin de plébisciter MistralMistral AI, l’IA made in France. Après des débuts certes chaotiques comme n’importe quel chatbot, Le Chat, c’est le nom de l’agent conversationnelagent conversationnel de Mistral AI, n’a, au final, pas grand-chose à envier à ses concurrents américains et chinois.

Côté investissements, l’IA de Mistral a coûté autour de 51 fois moins cher qu’OpenAI pour le développement de GPT. Certes, c’est toujours plus que DeepSeek et ses 5,57 millions de dollars d’investissement, ce dont on peut douter. Mais, même si l’IA chinoise dissimule ses véritables investissements, DeepSeek a permis de montrer que la puissance financière des géants américains de l’IA ne suffit pas.

C’est la même chose que démontre brillamment Mistral AI. Pour tenir le pavé, Mistral AI, dont les fondateurs sont d’ailleurs issus des grandes entreprises d’IA américaines, a certes conçu des LLM très efficients. Mais, en réalité, tout n’est pas « made in France », loin de là. Par exemple, pour réduire la latence et obtenir des réponses instantanées, Mistral AI s’appuie sur l’expérience de l’entreprise américaine Cerebras, spécialisée dans le développement de systèmes de calcul haute performance. À titre d’exemple, sa puce Wafer Scale Engine (WSE) est notamment connue pour accélérer l’entraînement de grands modèles d’IA. C’est son outil Cerebras Inference qui alimente FlashFlash Answers de Le Chat pour obtenir les réponses instantanées. Une brique qui fait que Le Chat est 10 fois plus rapide que les modèles populaires, tels que ChatGPT 4o, Sonnet 3.5 et DeepSeek R1.

Les États-Unis et la Chine sont devant toutes les autres IA, mais avec quels moyens ? Avec peu d’investissements, la France, avec Mistral AI, occupe la troisième place des pays leaders pour leur IA. Les autres Européens sont sortis de la course. Surprenant non ? © Artificial Analysis

Quand les Américains aidaient l’IA française à prendre son envol

Côté matériel et logiciellogiciel, le modèle français a également fait l’objet de partenariats avec le fondeur Nvidia, qui développe les puces les plus puissantes dédiées à l’IA. MicrosoftMicrosoft, qui est pourtant imbriqué avec OpenAI, a également misé sur Mistral AI en lui permettant d’héberger ses modèles sur sa plateforme Azure. Cette infrastructure inclut des capacités de calcul haute performance, essentielles pour l’entraînement et le déploiement de ses modèles. Avec ce procédé, l’infrastructure est donc taillée sur mesure et peut évoluer. Autrement dit, l’IA française a pu en partie se mettre à briller grâce à des briques américaines qu’elle a déployées au fur et à mesure de sa croissance. Des briques utilisées pour faire fonctionner un LLM de surcroît très efficient et nécessitant moins de données qu’une IA américaine.

Est-ce que les Américains se sont doutés qu’ils allaient créer un concurrent potentiellement fort ? Misaient-ils sur le fait que l’IA française est open sourceopen source et qu’elle ne présenterait pas de danger face à des entreprises qui blindent l’accès à leur code ? DeepSeek a pu démontrer que l’open source peut faire dérailler les ténors du secteur avec un tout petit modèle de langage. D’ailleurs, c’est peut-être pour montrer que Mistral AI pouvait faire aussi bien que DeepSeek que la firme a lancé dans la foulée son modèle « Mistral Small 3 ». Un modèle limité à 24 milliards de paramètres, mais qui – entraîné pour des tâches précises – pourrait être redoutable avec sa vitessevitesse de traitement de 150 tokenstokens par seconde. C’est le genre de prouesse que sait faire Mistral AI, sans se vanter ni en réalisant une communication outrancière.

Le Chat de Mistral AI, le champion européen de l’intelligence artificielle débarque enfin sur vos smartphones : testez-le !

Mais, aujourd’hui, le signe le plus puissant que Mistral AI est désormais solidesolide et a pris son envol, c’est l’annonce de la constructionconstruction de datacenters dédiés en France. La firme a précisé que ses propres centres de calcul se trouveront en France. Un choix guidé par la recherche d’efficacité, le respect de la protection des données chère à l’Union européenne, et en raison de l’énergieénergie décarbonée produite par le parc nucléaire français. Toujours côté français, le groupe Iliad est également plus ou moins partenaire de Mistral, il vient de proposer un abonnement gratuit à la version Pro de Le Chat à tous les abonnés de Free MobileMobile pendant un an. Un coup de pouce qui devrait permettre d’enrichir la base d’entraînement de l’IA. La société est aussi dotée d’un puissant supercalculateursupercalculateur DGX SuperPOD de Nvidia dédié à l’IA.

C’est la société américaine Cerebras qui participe à la vélocité des réponses de l’IA française et désormais, le chatbot est le plus rapide au monde. La technologie Wafer Scale Engine, qui est employée, a été développée en collaboration avec les chercheurs de Mistral. © Cerebras 

Le projet Stargate à la française

Avec la nouvelle appli Le Chat pour mobile et les deux jours du Sommet de l’IA parisien, tous les regards se tournent vers cette intelligence artificielle française. Fort de ce succès, les politiques s’en mêlent, et le président Macron est devenu soudainement le meilleur VRP pour l’installation de datacenters dédiés à l’IA en France. La veille de l’ouverture, au Grand Palais, du Sommet pour l’action sur l’IA, sorte de forum diplomatique autour des IA, il a annoncé 109 milliards d’euros d’investissements privés dédiés aux IA. Compte tenu des dimensions du pays, cette annonce est tout aussi ambitieuse que le projet Stargate promu dernièrement par Donald Trump et qui est censé collecter 500 milliards de dollars au profit du développement de l’IA via la construction de gigantesques datacenters.

Pour la France, cet argentargent servira également essentiellement à la construction d’infrastructures pour les IA. Et les premières promesses sont déjà actées. Preuve que l’IA made in France portée par son fleuron Mistral AI est séduisante, les Émirats arabes unis viennent d’annoncer un investissement pour la construction de datacenters pouvant s’élever à 50 milliards d’euros. Dans la foulée, le fonds canadien Brookfield mise aussi sur le territoire français pour investir 20 milliards d’euros dans des datacenters qui seront implantés à Cambrai. L’atout de l’énergie nucléaire fait certes partie de l’équationéquation mais, comme souvent, la France reste un prodige discret qui s’ignore et aime à se moquer de ses échecs. Et pourtant sur les IA, avec des moyens limités, le pays n’a finalement pas grand-chose à envier aux colosses américains puissamment armés de dollars.

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