Dans 2001, l’Odyssée de l’Espace, l’IAIA d’HAL 9000 fait corps avec le vaisseau spatial. Seul son inquiétant regard rouge vient l’humaniser… ou presque. Et puis, il y a eu tous ces robots de science-fiction, comme C-3PO ou les fameux et redoutables humanoïdeshumanoïdes Terminator. Et dans Blade Runner, les « réplicants » refusent de mourir…
Toutes ces fictions tournent autour d’une question centrale. Pour ne pas bugger ou devenir parano, une IA a-t-elle besoin d’un corps pour réfléchir tel un humain ? Autrement dit, faut-il un corps pour qu’un robot doté d’une IA nous ressemble vraiment, comme le bon androïde Data de Star Trek capable de rêver et qui obtient les mêmes droits que les citoyens.
Pour le moment, ce sont des chatbots dénués de bras et de jambes qui se trouvent dans les smartphones et les ordinateurs. Est-ce que leurs limitations actuelles pourraient être dues à cette absence de corps physiquephysique ? La question semble incongrue et pourtant, alors qu’ils n’ont cessé de progresser, les grands modèles de langage (LLM) classiques montrent aujourd’hui de gros signes de fatigue – comme l’indique une récente étude d’Apple. Ils ne stagnent pas dans leurs performances lorsque les questions sont complexes, ils s’effondrent littéralement. Et ce n’est pas parce qu’ils manquent de puissance de calcul. C’est surtout parce qu’ils ne parviennent pas à raisonner dès que cela devient trop compliqué.
Pour voler à leur secours, les grands modèles de raisonnement (LRM) font un peu mieux en évaluant les étapes à accomplir pour construire une réponse pertinente. Mais même lorsqu’ils affichent leur chaîne de pensée, elle ne reflète pas toujours la réalité.
Il faut toucher le monde pour penser
Au final, on ne peut que dresser le constat que malgré les apparences, ces chatbots désincarnés sont loin de « penser » comme des humains. Les chercheurs ont déjà constaté que cela vient de leur conception même. Les LLM sont les héritiers des travaux cognitifs sur la logique symbolique du XXe siècle.
L’IA a été construite à partir du traitement de symboles, de façon abstraite. Des pixels, du texte, mais pas d’informations supplémentaires provenant des sens, de l’intuition, du contexte…. Après avoir fait illusion ces dernières années, c’est – semble-t-il – cette pensée abstraite qui entrave désormais les LLM. Pour preuve, dès que ces IA ont été implantées pour gérer des robots, elles ont été incapables d’interagir correctement avec le monde physique pour s’y adapter.
C’est de cette façon que la voie du biomimétisme a été envisagée par des chercheurs en neurosciences et en psychologie pour les développer autrement.
Résultats détaillés sur l’effort de raisonnement par rapport à la complexité du problème (N) pour trois LRM (DeepSeek-R1, Claude-3.7-Sonnet avec réflexion et o3-mini) avec quatre thématiques de puzzles. Quand le problème devient complexe, elles s’effondrent. © Apple
La cognition incarnée
On s’est dit que puisque les animaux, les végétaux et les humains apprennent grâce à des interactions physiques, les IA devraient y parvenir également. Autrement dit, tout comme on parle de l’intestin comme d’un « deuxième cerveaucerveau », l’intelligenceintelligence numérique ne devrait pas reposer uniquement sur un cerveau artificiel sans lien avec le monde physique.
Or, les éditeurs d’IA cherchent à atteindre le Graal, c’est-à-dire entrer dans l’ère dit de l’intelligence artificielle générale (IAG). L’IA serait alors proche de l’intelligence humaine. Difficile d’y parvenir sans contact avec le monde physique.
Selon les scientifiques, il est désormais essentiel que les IA puissent développer tous leurs sens pour ressentir et comprendre ce qui les entoure. Mais la robotiquerobotique présente également un frein. Les membres sont rigides et leurs interactions avec le monde sont, de fait, réduites.
Quand les IA auront des bras
Comme les poulpespoulpes sont dénués de squelette mais sont des êtres vivants intelligents, dans les labos du monde entier on cherche à donner de la souplesse aux robots pour qu’ils aient moins besoin de faire d’importants calculs pour s’adapter à leur environnement.
Ainsi, on exploite du siliconesilicone ou des tissus et des muscles presque humains pour rendre le corps des robots plus fluide et adaptatif en temps réel. C’est parfois terrifiant de voir des peaux synthétiques purulentes. Mais cela fait avancer l’IA, puisqu’on parle alors d’intelligence physique autonome (APIAPI) avec des robots pratiquement autonomes et réactifsréactifs à leur environnement. Avec leur intelligence spécialisée, le corps et les membres des robots participeraient à l’intelligence du cerveau de l’IA.
Ces robots qui nous ressembleraient seraient parés à ressentir le monde tel qu’il est, pour réfléchir comme nous. Les IA passeraient alors par une phase enfantine durant laquelle elles mèneraient leurs propres expériences avec leur corps. Un corps qu’elles animeraient avant même de parler et d’apprendre à lire.