En aviation, les concepts et architectures d’aéronefs les plus étranges ont été imaginés et testés. Celui que compte ressusciter la Chine est l’un des plus spectaculaires. Il s’agit de faire voler un avion avec une aile totalement de travers. Elle s’orienterait d’un côté avec un angle de 60° par rapport au fuselage, de façon à ce que l’appareil ressemble à une paire de ciseaux volants.
Mais en quoi cette position incongrue de l’aile peut-elle être utile ? Le concept date de 1942 et a été imaginé par l’ingénieur allemand Richard Vogt. il visait à améliorer la stabilité des tout premiers avions de chasse à réaction développés par l’Allemagne nazie. Le procédé devait améliorer leur stabilité lorsqu’ils approchaient le mur du son. Une étude d’avion baptisé le Blohm Voss P.202 a été réalisée, mais l’appareil n’a jamais été produit.
Le concept était là et la Nasa a mené plus loin les recherches et réellement testé l’avantage de cette aile oblique à haute vitesse. Lors d’essais en soufflerie, il est apparu qu’autour de Mach 1,4 les performances aérodynamiques sont nettement meilleures que celles d’un avion doté d’ailes conventionnelles. En s’alignant avec le flux d’air, l’angle de l’aile diminue la traînée aérodynamique, ce qui permet d’aller plus vite avec la même consommation de carburant et donc d’augmenter l’autonomie. Cette étrangeté aéronautique a bel et bien existé à la fin des années 1970 et cette architecture plutôt contre-intuitive pour voler, a été testée par la Nasa avec le prototype AD-1.
Le concept date de 1942 et a été imaginé pour les avions à réacteurs de l’Allemagne nazie. Il a été testé par la Nasa. La Chine va-t-elle l’exploiter ? © DR
L’aile oblique a vraiment existé
Les essais en vol de l’AD-1 ont été menés entre 1979 et 1982 au Centre de recherche en vol de la Nasa, à Edwards, en Californie. L’avion, d’un peu moins d’une tonne, était long de près de 12 mètres et disposait d’une envergure de 9,8 mètres. Il était constitué de plastique et de fibre de verre. Le train d’atterrissage était fixe et placé au plus près du fuselage pour réduire au maximum la traînée. Le fuselage était tellement proche du sol, que le pilote d’essai n’avait pas besoin d’un marchepied pour s’insérer dans la cabine.
L’avion décollait et atterrissait de façon classique avec les ailes perpendiculaires au fuselage. Plus il prenait de la vitesse et plus l’aile pivotait vers l’avant droit grâce à un système d’engrenage électrique. En théorie, l’aile pouvait atteindre un angle de 60° par rapport au fuselage. Cependant au fil des 79 vols d’essai, cet angle a été limité à 45° au maximum en raison de la vitesse limitée à 272 km/h du prototype. Il aurait fallu construire un prototype plus grand, plus puissant et plus rapide pour pouvoir évaluer les atouts de cette aile oblique à la vitesse du Mach et au-delà.
Mais alors, quel est le rapport avec la Chine ? Des chercheurs du pays planchent sur un avion porte-drones capable d’évoluer à Mach 5 grâce à cette aile oblique. L’idée est de parvenir à cette haute vitesse pour pénétrer au cœur des lignes adverses sans être intercepté afin d’y larguer directement une nuée de drones. L’aile oblique transformerait l’engin en l’équivalent d’un missile manœuvrable pour échapper aux systèmes défensifs et s’introduire au plus près des cibles des drones. Il pourrait larguer des essaims de drones tels les MD-19. Ces gros drones à ailes delta sont dotés de deux empennages verticaux et ils auraient également des capacités hypersoniques. Ils pourraient mener une multitude de missions, comme de la surveillance ou des frappes loin derrière les défenses ennemies pour dégrader sa chaine logistique.
L’AD-1 de la Nasa a été le seul prototype à voler pour tester le concept d’aile oblique. © Nasa
Changement de stratégie pour l’hypersonique
Est-ce que c’est faisable aujourd’hui ? Lorsque la Nasa a abandonné le projet, ce n’est pas parce que cette architecture n’était pas performante, mais pour des raisons économiques et des choix de nature stratégique. Mais depuis plus de 40 ans, les progrès en matière de résistance des matériaux face aux contraintes thermiques extrêmes et les technologies permettent clairement de passer à la vitesse supérieure en exploitant ce procédé d’aile oblique.
Il en est de même pour les systèmes de navigation automatisés manœuvrants à ces vitesses extrêmes. Le vol hypersonique pour un aéronef est également envisageable avec les moteurs mixtes à détonation rotative. De fait, l’aile oblique pourrait avantageusement optimiser les rapports de portance et de traînée selon les différents régimes de vitesse. Pour autant, au-delà de l’intention, pour le moment, aucun autre détail sur ce « vaisseau-mère » à aile oblique n’a été dévoilé. On ne sait rien non plus sur le programme de développement. Mais en théorie, un tel engin serait réalisable. Il ferait partie de l’arsenal d’étrangetés militaires mis au point à cadence rapide par la Chine.
Alors s’agit-il d’une énième opération de communication visant à montrer les avancées du pays en matière militaire et aérospatiale ? Il faut souligner que de leur côté, les Américains « patinent » sur l’hypervélocité au niveau militaire et peinent à développer des essaims de drones. Si la Chine parvient à rendre opérationnel rapidement un tel vaisseau-mère en sortant des sentiers battus, les États-Unis seront certainement amenés à repenser leurs stratégies et ressortir des remises d’anciens concepts alors inexploitables pour les remettre au gout du jour.