Longtemps invisibilisé, l’impact du numérique sur l’environnement commence à devenir un problème majeur car le réseau est en constante progression, nécessitant toujours plus de terminaux, de capteurscapteurs, d’applicationsapplications et de données, ce qui produit toujours plus de pollution, de déchetsdéchets et d’émissionsémissions de CO2.
Selon l’AdemeAdeme (Agence de la transition écologique) et l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), l’empreinte carbonecarbone du numérique pourrait tripler à l’horizon 2050, alors que celle-ci représente déjà 4 % des rejets de gaz à effet de serregaz à effet de serre dans l’atmosphèreatmosphère au niveau mondial.
Cette contribution exponentielle au dérèglement climatique va affaiblir la capacité du réseau à conserver sa forme actuelle et son rythme de développement, car elle participe à l’augmentation des températures, renforce le stress hydriquestress hydrique, accélère le déclin de la biodiversitébiodiversité, favorise l’intensification des catastrophes naturellescatastrophes naturelles, autant de facteurs qui compliquent l’accès aux quantités considérables d’énergieénergie et de matériaux nécessaires au fonctionnement et à la croissance du numérique.
L’accélération de l’IA générative
À cela, il faut encore ajouter un nouvel arrivant : l’IAIA générative. La montée en puissance particulièrement rapide de cette technologie algorithmique, qui est plébiscitée aussi bien par les particuliers que par les entreprises partout à travers le monde, va accroître de façon tout à fait excessive la consommation d’électricité du réseau, car elle est bien plus énergivore que l’IA analytique pour la plupart des usages courants.
Pour être efficace, elle nécessite en effet d’entraîner de grands modèles de langage et de traiter des volumesvolumes gigantesques de données, ce qui lui permet par ailleurs de s’améliorer en permanence. En outre, son développement à grande échelle ne peut être soutenue que par la constructionconstruction d’un nombre toujours plus important de data centers, ce qui va nécessiter, là encore, des quantités considérables d’énergie et de matériaux. Évidemment, ce mouvementmouvement, comme le précédent, est incompatible avec les différentes trajectoires de décarbonation. Ce n’est cependant pas le seul problème.
Le numérique est une ressource non renouvelable
Par le passé, les crises économiques ne naissaient pas de la mise en circulation de produits hypothécaires toxiques ou d’un ventvent de panique chez les investisseurs, mais de l’incapacité à extraire suffisamment de métal du sol pour battre la monnaie, étant donné qu’il y avait une limite physiquephysique, dépendante de l’énergie et du nombre de bras dont on disposait, à ce type d’opération.
C’est ce que nous sommes sur le point d’expérimenter avec le numérique, car une crise majeure des ressources est en gestationgestation. En réponse à l’hyper-croissance des usages, l’extraction des mineraisminerais indispensables à la fabrication des terminaux et des capteurs va également connaître une très forte hausse, alors que les réserves disponibles de minerais commencent à montrer des signes de faiblesse.
Partout dans le monde, les compagnies minières constatent que les gisementsgisements se vident peu à peu, sans qu’il soit possible d’en découvrir de nouveaux. Cette année, pour la première fois, et c’est historique, les professionnels de l’extraction ont placé la raréfaction des stocks de métauxmétaux au 4e rang de leurs préoccupations, selon l’étude « Les 10 principaux risques et opportunités pour le secteur minier en 2025 » réalisée par le cabinet EY. Ça n’était jamais arrivé. Pour le réseau, cette tendance à la diminution représente un danger mortel. Le numérique est en effet entièrement dépendant d’un certain nombre de minerais présents sous terre, dont la quantité est limitée, ce qui en fait une ressource non renouvelable.
Comprendre la rareté des métaux rares. © Arte
Dès lors, comment reprogrammer le logiciel pour garantir un avenir durable à une technologie qui est devenue centrale dans le fonctionnement de nos sociétés ? Réponses avec Frédéric Bordage.
Futura : Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler quels sont les impacts du numérique sur l’environnement ?
Frédéric Bordage : Par ordre décroissant, 52 % proviennent de l’épuisement de ressources abiotiquesabiotiques, c’est-à-dire naturelles et non renouvelables. On parle ici de la raréfaction progressive des réserves disponibles de métaux, de minérauxminéraux et de combustiblescombustibles fossilesfossiles – pétrolepétrole, charboncharbon et gaz. En deuxième position, 28 % sont dus aux rayonnements ionisants, lorsque l’électricité est produite à partir du nucléaire, qui ont un effet néfaste sur la santé, aussi bien sur la nôtre que sur celle des autres êtres vivants. En troisième position, 11 % sont générés par les émissions de gaz à effet de serre, qui entraînent, comme on le sait, un réchauffement planétaire global. Enfin, les 9 % restants sont issus de la fabrication et de l’utilisation de nos équipements – ordinateurs, smartphones et tablettes -, avec une consommation énergétiqueconsommation énergétique de plus en plus importante.
Ramené au budget carbone soutenable d’un individu, le numérique pèse une tonne équivalent CO2 par an et par Français, soit environ 60 % de ce qu’il faudrait consommer au maximum pour rester dans les limites planétaires. C’est 10 fois trop car nous devons également répondre à nos autres besoins physiologiques, manger, se nourrir, avoir un toittoit, se soigner…
Futura : À cela, il faut encore rajouter l’impact de l’IA générative ?
Frédéric Bordage : Oui, en effet. Pour l’instant, ce nouvel impact est encore assez difficile à cerner avec précision. Les premières études sérieuses commencent tout juste à sortir. Par contre, ce que l’on voit, et probablement sans trop se tromper, c’est que l’IA générative va considérablement augmenter les impacts environnementaux déjà existants. C’est une couche supplémentaire de pollution et d’émissions de CO2, et elle est particulièrement importante. Dans sa phase d’utilisation, cette technologie consomme entre 5 à 10 fois plus d’électricité qu’un serveurserveur standard. C’est gigantesque en comparaison de ce qui était jusqu’ici nécessaire pour alimenter les infrastructures IT, les routeursrouteurs, les terminaux, les serveurs…
En creux, cela veut dire que nous ne pourrons pas vivre, demain, dans un monde ultra connecté, avec des véhicules électriques à tous les coins de rue, des algorithmes à foison, des robotsrobots partout. Nous n’aurons jamais assez d’électricité pour faire cela. C’est physiquement impossible car il faudrait démultiplier les lignes à haute tensionhaute tension, les data centers, les câbles sous-marinssous-marins…
Futura : Vous dites, par ailleurs, que le numérique est une ressource non renouvelable. Qu’entendez-vous par là ?
Frédéric Bordage : La dématérialisation associée au digital est une illusion. Pour fabriquer des smartphones, des ordinateurs, des serveurs, il faut une soixantaine de matériaux différents, essentiellement des métaux et un peu de plastiqueplastique, donc in fine du pétrole.
Rappelons que les réserves rentables de minerais, c’est-à-dire les stocks accessibles et exploitables, sont en quantité finie sur Terre. Et aujourd’hui, on ne trouve plus de nouveaux gisements. Quand bien même ce serait le cas, il faudrait de 15 à 20 ans pour ouvrir des mines et les rendre opérationnelles. Actuellement, la demande pour certains métaux est d’ores et déjà en tension avec l’offre, et cette demande va fortement augmenter dans les deux prochaines décennies, ce qui va intensifier le risque de pénurie.
Futura : Avec quelles conséquences ?
Frédéric Bordage : Arrivé à un certain niveau d’épuisement de la ressource, les coûts liés à l’extraction vont devenir beaucoup trop élevés pour les entreprises, et inacceptables pour le reste de la société. Non seulement ce ne sera plus rentable économiquement, mais les impacts environnementaux et sanitaires seront insupportables.
“La barrière minéralogique représente un obstacle infranchissable pour le numérique, comme pour toute la high-tech. Le temps est compté avant que nous ne l’atteignions”
Pour autant, il suffirait qu’un seul métal manque pour que nous ne puissions plus fabriquer d’équipements. Pour toutes ces raisons, la barrière minéralogique représente un obstacle infranchissable pour le numérique, comme pour toute la high-tech. Le temps est compté avant que nous ne l’atteignions. Concrètement, il reste entre 10 et 15 ans de réserves exploitables sur une quinzaine de métaux critiques. En réalité, le numérique est une ressource non renouvelable car, privée de ces métaux, cette technologie ne peut plus fonctionner.
Futura : Il y a également le problème spécifique du cuivre, qui est le supraconducteur de l’électricité ?
Frédéric Bordage : Tout à fait. Sans cuivrecuivre, il n’y a plus d’électricité, donc plus de numérique. Et il n’existe aucune solution de remplacement. Il faut savoir que le prix du cuivre a énormément augmenté ces dernières années. Comme la ressource se raréfie, elle devient de plus en plus chère. C’est une dynamique bien connue en économie. Les prix se situent actuellement aux alentours de 10 000 euros la tonne, ce qui est du jamais-vu. Ce renchérissement engendre, par appâtappât du gain, des vols massifs de câbles.
Ce n’est cependant pas le seul minerai qui est en tension. Lorsque les États-Unis promettent à Zelensky de l’aider dans la guerre contre les Russes, c’est en échange de terres raresterres rares. C’est notamment ce qui intéresse Poutine dans son invasion de l’Ukraine. Nous nous dirigeons vers une raréfaction de plus en plus marquée des métaux critiques nécessaires au fonctionnement du numérique, ce qui constitue une source de déstabilisation majeure de la géopolitique mondiale. Cela fait 30 ans que les conflits entre grandes puissances, qu’ils soient de nature économique ou militaire, sont liés aux ressources stratégiques.
Futura : Quelles seraient les répercussions d’un accès restreint au numérique, sans possibilité de revenir à un trafic normal par manque de ressources, et par extension, celles de la fin de cette technologie ?
Frédéric Bordage : Ce serait tout simplement apocalyptique. Le numérique est devenu le système nerveux central des sociétés humaines. Sans lui, plus rien ne pourrait fonctionner. Les banques et les entreprises feraient faillite car elles ne pourraient plus effectuer la moindre transaction. Les bourses s’effondreraient, entraînant dans leur chute chaque secteur de l’économie. Les salaires ne seraient plus versés. Les trains, les avions, les métros ne pourraient plus circuler. Les magasins et les supermarchés ne seraient plus approvisionnés. Ce serait le chaos généralisé. C’est un scénario à la Mad Max, mais qui pourrait se produire. Ce qui est déplorable, c’est qu’il n’y a pas d’anticipation de la part des pouvoirs publics. Pour éviter que nous n’en arrivions là un jour, nous avons besoin de définir ensemble, dans le cadre d’un processus démocratique, les usages du numérique à prioriser, comme ceux qui concernent la santé par exemple.
Futura : Le virage vers l’économie circulaire peut-il apporter une solution pertinente ?
Frédéric Bordage : Sans doute, mais nous sommes très loin du compte. Nos systèmes de collecte et de traitement ne sont pas assez développés, et encore, c’est un euphémisme. Il faudrait faire beaucoup plus, et le faire beaucoup plus vite. Par ailleurs, il faut se rappeler que nos équipements contiennent des terres rares en très petite quantité, dont l’intricationintrication moléculaire avec d’autres métaux rend leur recyclagerecyclage particulièrement complexe. À tel point que ce n’est pas économiquement viable.
“Il faut obligatoirement faire naître l’internet circulaire, sobre et durable de demain, mais le modèle reste à inventer”
Malgré quelques initiatives louables, comme les plateformes de seconde main, la tech est un secteur qui repose majoritairement sur l’économie linéaire, et qui dépend d’autres processus industriels du même ordre pour pouvoir fonctionner, avec un écosystème constitué d’un grand nombre de fournisseurs et de sous-traitants répartis à travers le monde. Face à cela, il faut obligatoirement faire naître l’internetinternet circulaire, sobre et durable de demain, mais le modèle reste à inventer. À ce stade, c’est encore une vue de l’esprit. Dit autrement, la période de transition nécessaire pour passer d’un modèle économique jetable à un modèle économique renouvelable n’a même pas véritablement commencée.
Futura : À quoi pourrait ressembler ce nouveau modèle ? Et comment pourrait-il prendre forme ?
Frédéric Bordage : Il faut opérer un changement culturel radical. Il est urgent de dénumériser nos sociétés pour les rendre plus résilientes. Pour apporter une réponse à l’épuisement des métaux et aux émissions de CO2, l’avenir est à la slow tech, pas à la high-tech. Pour commencer, il faut prioriser le reconditionnement et le réemploi, allonger les duréesdurées de garantie, faciliter la réparation et la remise en état des équipements. Il faut innover en matièrematière de durabilitédurabilité pour concevoir des ordinateurs qui pourront fonctionner plusieurs décennies, voire même toute une vie. C’est quelque chose qu’on peut faire. Ce n’est pas hors de notre portée. Pour cela, il faut généraliser l’éco-conception et progresser vers l’usage longue durée, si nécessaire en durcissant les réglementations.
Ensuite, il faut s’attaquer à la couche logicielle et à la façon de concevoir les systèmes d’exploitationsystèmes d’exploitation car l’obsolescence programméeobsolescence programmée pousse à acheter du neuf. Il n’est pas nécessaire d’avoir toujours les applications les plus récentes. Si je prends le train, la SNCF va m’envoyer un QR Code, ce qui m’oblige à avoir un smartphone dernière génération pour pouvoir afficher mon billet de train, mais elle va aussi me l’envoyer par SMSSMS. Cela montre qu’une entreprise peut faire de la slow tech, en s’appuyant sur des technologies anciennes. Ce sont des dispositifs qui sont appropriables, peu impactant pour l’environnement, et qui fonctionnent très bien. Il faut arrêter de mettre de la high-tech partout.
La slow tech nous permettra d’avoir pendant plus longtemps des réserves de métaux et de minerais pour fabriquer du numérique. Il faut rentrer collectivement dans une démarche d’éco-conception. Il est possible de faire autrement. Et c’est devenu un enjeu vital.