Gilles Babinet : « Si la France ne suit pas, c’est la sécurité nationale qui est en jeu »

Author:

Dans un contexte où l’intelligence artificielle devient un enjeu stratégique mondial, la France et l’Europe se retrouvent face à des défis majeurs pour rattraper leur retard par rapport aux États-Unis et à la Chine.

Nous avons exploré ces problématiques lors d’un entretien avec Gilles BabinetGilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique depuis 2021, et auteur de plusieurs ouvrages, dont L’IA, l’intelligence artificielle et le service du climatclimat et Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet.

Gilles Babinet est entrepreneur dans le domaine des nouvelles technologies. © Alix Debussche, Wikimedia Commons

Futura : La France est-elle encore en retard dans la course à l’IA et si oui, pourquoi ?

Gilles Babinet : Tous les pays sont un peu en retard dans la course à l’IA, en particulier vis-à-vis des États-Unis, et ce pour plusieurs raisons. L’une d’elles est que les États-Unis ont su instaurer une véritable domination en matièrematière de soft power sur ce sujet. Leur régulation est très organisée, facilitant l’émergenceémergence de fonds d’investissement, etc. Donc, ils disposent des ressources financières, des talents et des consommateurs, ce qui leur confère un avantage considérable.

Futura : Pourquoi la France et l’Europe auraient-elles intérêt à se mettre à niveau dans les années à venir ?

Gilles Babinet : Je pense qu’il y a une raison qui dépasse toutes les autres, il s’agit des enjeux de préservation de notre modèle. Demain, la puissance reposera sur l’IA, et les systèmes militaires seront de plus en plus alimentés par cette technologie. Si on ne parvient pas à suivre, on risque de se retrouver en position d’asymétrie par rapport à des pays comme les États-Unis, qui auront pris une avance considérable. Aujourd’hui, on voit combien il est crucial de ne pas laisser cette situation se concrétiser.

Voir aussi

L’IA tire à vue : les canons laser de l’US Navy se passent désormais des humains !

Futura : Pourquoi les régulations risqueraient-elles de freiner le développement de l’Europe dans l’IA ?

Gilles Babinet : Arthur Mensch, le patron de Mistral, a publié un tweet intéressant qui disait que ce qui pose problème, c’est les notice periods, c’est-à-dire l’obligation de notifier les autorités européennes avant la publication d’un modèle.

Cela crée une asymétrie avec les États-Unis, pour qui cette contrainte n’existe pas. Les Américains, eux, publient leurs modèles immédiatement, ce qui leur confère un avantage considérable. Le résultat, qui n’est plus un simple risque mais une réalité avérée, c’est qu’on voit aujourd’hui que de nombreuses entreprises fondées par des Européens se retrouvent aux États-Unis.

Futura : Quels autres risques la France courrait-elle si elle ne rattrapait pas son retard en raison de régulations trop strictes ?

Gilles Babinet : Le risque est presque civilisationnel, c’est-à-dire de devenir une sorte de colonie des États-Unis, comme nous le sommes déjà en partie pour les systèmes d’armement, mais avec une bien plus grande ampleur.

Un matin, en courant, j’ai écouté un podcast de Dario Amodei, le cofondateur et P.-D.G. d’Anthropic, qui évoquait un point intéressant. Il disait qu’il est tout à fait possible de mettre en place des régulations, mais qu’elles devraient être définies par objectif. Cela reviendrait à adopter un système similaire à celui du marquage CE en Europe. C’est-à-dire qu’il faut s’assurer que l’objectif n’est pas dangereux, plutôt que de dire vous devez répondre à tel ou tel critère. À cet égard, la régulation européenne actuelle n’est pas idéale, car elle est trop procédurière, je trouve.

Futura : La France est-elle en bonne position pour progresser, et quelle trajectoire pourrait-elle suivre dans les années à venir ?

Gilles Babinet : C’est une question difficile. Pour être assez franc, imaginons qu’une alternance politique intervienne et qu’un gouvernement populiste, qu’il soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, prenne le pouvoir. Dans ce cas, c’est fini, tout s’arrêterait. Je peux me tromper mais, à gauche, cela risquerait de se produire à cause de la taxation du capital et, à droite, cela se produirait car personne ne voudrait plus travailler avec eux. Donc, il est possible que tout s’arrête du jour au lendemain.

Voir aussi

Pourquoi la France brille en IA sans que personne ne s’en rende vraiment compte

Cela dit, pour l’instant, la France est bien positionnée. Elle fait ce qu’il faut et connaît une certaine période d’accélération.

Cependant, je pense qu’il y a des points de préoccupation, notamment le déclin de la recherche française, ce qui est regrettable. Aussi, la France pourrait attirer davantage de talents, mais elle ne parvient pas à exploiter pleinement ce potentiel.

Futura : Dans votre idéal, quelles régulations faudrait-il instaurer pour que la France demeure compétitive en IA tout en protégeant les citoyens ?

Gilles Babinet : À mon avis, il est nécessaire de repenser la régulation en la basant sur une mécanique par objectifs.

Concrètement, cela signifie que les systèmes doivent viser la sécurité tant du point de vue démocratique que de la cybersécurité. Ensuite, c’est aux entreprises de définir les moyens pour parvenir à ces objectifs, un peu comme pour le marquage CE en Europe. Et si ces objectifs ne sont pas atteints, on met des amendes ou on bloque les entreprises concernées.

En résumé, c’est simple : on fixe l’objectif de sécurité, et c’est aux entreprises de trouver la manière de le garantir.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *