En août 2020, l’explosion qui avait ravagé le port de Beyrouth, la plus importante depuis 1945, équivalait à 300 tonnes de TNT. Presque 85 ans auparavant, la bombe atomique qui avait détruit la ville d’Hiroshima était 50 fois plus puissante, avec 15 000 tonnes de TNT, soit 15 kilotonnes. Aujourd’hui, les missiles de croisière français sont encore 30 fois plus puissants que cela, avec une force de frappe de 300 kilotonnes par tête. La Russie et les États-Unis possèdent, quant à eux, des armes nucléaires qui approchent les 500 kilotonnes.
Dans un monde de plus en plus instable, secoué par des crises économiques récurrentes, divisé en camps irréconciliables, notre pays – comme tous les autres – peut être à tout moment la cible d’un bombardement nucléaire. Alors que la technologie militaire a énormément progressé, quelles seraient les conséquences d’un tel évènement ? Comment se produirait-il ? Réponse avec Jean-Marie Collin, directeur de la branche française de la campagne internationale Ican pour l’abolition des armes nucléaires.
Futura : Quel est le scénario le plus probable d’une attaque nucléaire visant la France ?
Jean-Marie Collin : L’attaque viendrait principalement de la Russie, et potentiellement de la Chine. Ce sont les deux principales puissances qui menacent la France. Cela veut dire que nous serions certainement déjà entrés dans un conflit conventionnel avec l’un de ces États. On ne peut cependant pas exclure la possibilité d’une attaque nucléaire en première intention.
Futura : Pour autant, la France dispose de boucliers anti-missiles ?
Jean-Marie Collin : Certes, mais aucun des systèmes actuels n’est efficace à 100 %. Ça n’existe pas aujourd’hui et ça n’existera pas non plus demain. C’est bien pour cette raison que la question des armes nucléaires pose un problème dramatique.
Futura : En cas d’agression de la Russie, combien de temps mettrait un missile nucléaire pour nous frapper ?
Jean-Marie Collin : Ce serait extrêmement rapide. Il faudrait entre 20 et 30 minutes tout au plus. Les missiles seraient lancés par des sous-marins basés dans l’Atlantique Nord, au niveau de l’Arctique, et par des avions, ou depuis différents sites militaires terrestres.
Futura : Que se passerait-il exactement si Paris était visé ?
Jean-Marie Collin : En quelques secondes à peine, ce sont à peu près un demi-million de personnes qui vont perdre la vie, et environ 1,4 million qui vont être grièvement blessées. Il y aura d’abord un flash lumineux extrêmement puissant, qui provoquera des brûlures graves et un aveuglement total ou partiel. Puis une boule de feu d’un diamètre de plusieurs centaines de mètres, voire de quelques kilomètres, dévastera tout sur son passage, vaporisant et fondant les immeubles, les voitures et les corps.
Ensuite, il y aura la formation du fameux nuage en forme de champignon, saturé de poussières radioactives, qui après être monté dans les airs, va redescendre en générant une onde de choc qui se déplacera à une vitesse supersonique, et qui va littéralement tout raser. C’est cet effet-là qui est le plus puissant. Le rayon des destructions s’étendra jusqu’à neuf kilomètres depuis le centre de l’explosion. Enfin, les retombées radioactives vont contaminer le site et se propager au gré des vents, y compris hors de nos frontières. Tous ces impacts seront démultipliés par le nombre de missiles qui auront été lancés, car une attaque ne repose plus sur une seule frappe.
Futura : Quelles seraient les conséquences annexes d’une attaque ?
Jean-Marie Collin : La plupart des grandes villes françaises sont situées à proximité d’installations extrêmement sensibles, comme des centrales nucléaires, des sites classés Seveso ou des ports pétroliers, qui seraient immédiatement impactés, ce qui engendrerait une série de catastrophes à grande échelle. Aucun État ni aucune organisation internationale ne possède les ressources techniques et les moyens humains pour secourir les populations qui auraient survécu. La France ne pourra jamais se remettre d’une attaque nucléaire.
Un cran plus loin, une attaque à l’échelle du continent européen aurait un impact délétère sur la production alimentaire car tous les pays seraient contaminés, ce qui provoquerait une famine généralisée et des migrations massives. Ce serait apocalyptique.
Futura : Pour éviter ce danger mortel, où en est-on du processus de dénucléarisation ?
Jean-Marie Collin : Presque 150 États refusent de posséder des armes nucléaires, tandis qu’une poignée d’autres basent leur sécurité sur cette stratégie de dissuasion. La réelle question est de savoir combien de temps nous avons avant l’emploi volontaire ou accidentel d’une telle arme. Est-ce que c’est 30 minutes ou plusieurs années ? La dénucléarisation doit donc devenir une priorité à l’échelle planétaire.