« Oiseau de tempête » : ce que Poutine ne dit pas sur son missile nucléaire

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« C’est une création unique que personne d’autre dans le monde ne possède. » C’est en tenue de combat et en ces termes que le président russe Vladimir Poutine s’est exprimé au sujet de la fin des essais du missile à propulsion nucléaire Burevestnik. Une façon de montrer une prétendue toute-puissance militaire russe leader en technologie et en profiter pour faire peur à l’Occident, notamment aux Européens.

Cette annonce intervient à un moment plutôt opportun, alors que les États-Unis ont annoncé des sanctions contre deux géants du secteur des hydrocarbures russes, Rosneft et Lukoil, ainsi que l’abandon d’une rencontre Trump/Poutine à Budapest pour négocier la « paix » en Ukraine.

Le missile Burevestnik, ou 9M730 Skyfall, a été tiré le 21 octobre lors d’un essai. Selon les sources officielles russes, lors de ce test, il aurait parcouru 14 000 kilomètres et volé durant 15 heures. Il s’agit d’un missile de croisière, c’est-à-dire qu’il suit une trajectoire parallèle au sol entre 50 et 100 mètres d’altitude pour passer sous la couverture radar. Ce Burevestnik, Futura en avait déjà parlé lors d’un précédent essai en octobre 2023. Là encore, c’est le président russe qui avait annoncé – en montrant les muscles – la réussite de ce test.

L’effet bouh !!!

Ce qui fait surtout peur, c’est que le terme nucléaire soit associé à cet engin. En réalité, le missile peut aussi bien être équipé d’explosifs conventionnels, que d’une tête nucléaire. Mais dans tous les cas, il est propulsé par un statoréacteur nucléaire.

Comment cela fonctionne ? Le moteur de départ est de conception classique avec un carburant solide. Il propulse le missile à une vitesse suffisante pour que le statoréacteur nucléaire puisse fonctionner. Ensuite, autour de Mach 0,5, un mini-réacteur nucléaire prend la relève. L’air ambiant est aspiré par l’avant du missile et chauffé à très haute température par l’énergie libérée par la fission. Cet air chaud est expulsé à l’arrière pour générer la poussée.

Une durée de vol illimitée, limitée

De fait, ce type de propulsion lui donne théoriquement une portée illimitée. C’est l’argument que met en avant le Kremlin en faisant comprendre que le missile peut être placé en vol très longtemps dans une direction, puis en partir brutalement dans le sens inverse et manœuvrer à sa guise avant de frapper au moment et à l’endroit où Moscou le souhaite. Il pourrait donc faire le tour de la Terre plusieurs fois avant de frapper.

Stratégiquement, ce serait effectivement son atout principal, puisqu’avec son rayon d’action aussi étendu qu’un missile intercontinental, il pourrait se frayer un chemin dans les zones où la couverture radar est la moins dense pour naviguer vers sa cible sans être intercepté. Pourquoi pas…

Le missile de croisière vole essentiellement à une vitesse subsonique et n’est pas furtif. Son endurance n’est pas forcément un atout, puisqu’il peut être détecté et traqué durant ses longues pérégrinations. © TASS

Pour le reste, hormis le fait de créer une ambiance anxiogène chez les populations occidentales, et notamment chez les Européens, pour élimer leur soutien à l’Ukraine, ce missile de croisière n’a pas vraiment d’intérêt. Car, si le mot-clé « nucléaire » reste intimidant, en dehors de sa longue portée, il ne diffère pas vraiment des autres missiles de croisière.

De plus, son atout principal, qui est son endurance, est aussi une faiblesse. L’engin n’est pas furtif, ni hypersonique et il est assez imposant, donc facile à détecter. Il vole à une vitesse subsonique, c’est-à-dire inférieure à Mach 1, ce qui reste relativement lent et permet de l’intercepter, contrairement à un missile balistique ou hypervéloce.

De fait, plus il reste longtemps en l’air et plus il peut être identifié, suivi et finalement neutralisé. Certes, le missile est capable de modifier sa trajectoire pour la rendre moins prévisible, mais cela ne suffit pas. Et surtout, de nombreux autres missiles de croisières classiques sont capables de faire exactement la même chose depuis longtemps. C’est d’ailleurs déjà le cas du missile Kalibr ou des Kh101 et 102. Ces engins peuvent bénéficier d’une tête nucléaire et ce qui les différentie, c’est uniquement une portée plus limitée, mais qui peut quand même atteindre des capitales européennes.

Enfin, toujours au sujet de sa durée de vol infinie, il est permis de douter. Les contraintes physiques et la consommation de ses fluides (huile, liquides hydrauliques…), nécessaires aux mouvements de ses ailettes de manœuvre et autres éléments mobiles, vont finir par limiter son endurance.

Étant donné sa conception, l’arme apparaît uniquement utilisable pour la dissuasion nucléaire. Autrement dit, elle n’est pas faite pour être utilisée et ne le sera certainement jamais. © MRu

Dormez sur vos deux oreilles

Est-ce que cela suffit pour ne pas avoir peur du missile ? En réalité, il n’apporte pas de menace supplémentaire qu’un autre missile de croisière. En raison de sa propulsion nucléaire, on peut considérer qu’il n’est utilisable que comme arme de dissuasion, c’est-à-dire avec une ogive nucléaire. Par exemple, l’utiliser en Ukraine avec une charge explosive conventionnelle n’aurait aucun sens, puisque lors d’une frappe, la seule motorisation viendrait contaminer durablement et sur une grande surface la zone ciblée. De fait, on pourrait la considérer comme une arme nucléaire, avec les conséquences que ça implique. Des conséquences que personne ne veut et surtout pas la Russie, malgré ses menaces répétées sur le sujet.

Autrement dit, l’engin s’ajoute à un arsenal nucléaire russe déjà bien fourni – qui n’est pas censé être utilisé. Face aux missiles nucléaires quels qu’ils soient, ni l’Europe ni les États-Unis ne pourraient de toute façon les intercepter s’ils arrivent en nombre. Cela dit, le résultat serait identique en Russie en cas de salve de missiles nucléaires M51 français, lancés depuis l’un des quatre sous-marins lanceurs d’engins de notre marine.

Par ailleurs, si l’on considère que les missiles de croisière russes à longue portée peuvent déjà atteindre les pays d’Europe, le Burevestnik n’apporte aucune plus-value. Autrement dit, malgré ces menaces répétées, les Européens peuvent dormir tranquilles. Tout ceci n’est que posture et volonté de faire peur aux populations… et cela peut effectivement fonctionner.

La propulsion nucléaire à la mode dans les années 1950

Reste la prouesse technologique. Si la Russie est effectivement parvenue à maîtriser la propulsion nucléaire, cela n’est pas une nouveauté pour autant. Dès les années 1950 et 1960, les États-Unis avaient également développé, le SLMA, un projet de missile de croisière à propulsion nucléaire. Il avait été abandonné en raison des risques de contamination radioactive. Mais, l’arrêt du programme avait surtout été décidé parce qu’il apparaissait inutile avec l’arrivée des missiles balistiques (ICBM). Il faut noter que les États-Unis avaient même imaginé et testé un bombardier à propulsion nucléaire à l’époque.

Côté Russe, le Bourevestnik actuel n’est pas non plus une nouveauté, tout comme le fameux Satan 2, l’Avangard hypersonique ou bien la torpille Poséidon. Ces nouvelles armes ont été développées depuis le début des années 2000, face au développement de nouveaux systèmes américains antimissiles balistiques nucléaires. Il s’agissait de trouver des engins capables de les contrer. Reste un élément qui est balayé sous le tapis. Il s’agit des considérations environnementales. Le Bourevestnik est surnommé le « Tchernobyl volant ». La radioactivité s’échapperait en même temps que la poussée. Il apparaît improbable que cela soit le cas, puisque cette traînée radioactive aurait été identifiée.

En revanche, le Kremlin n’a pas indiqué où est tombé le missile testé et quel est son impact sur la zone en matière de radiation. Mais l’on peut déjà imaginer que ce résultat est loin d’être propre. Déjà, en 2019, un test du moteur avait mal tourné et une explosion a contaminé la zone de test en faisant plusieurs morts parmi le personnel de la base d’essai. Alors, pour le moment, outre quelques sueurs froides inutiles, les premières vraies victimes de ce missile sont toutes russes.

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