Récemment interrogé par le podcast « The Business » sur la tempête qui s’est abattue sur l’industrie américaine du cinéma, après l’annonce par Warner Bros de la mise en ligne sur HBO Max de tous les longs-métrages initialement destinés aux salles de cinéma, le producteur Jason Blum y voyait la manifestation d’une fracture Nord-Sud. Il fallait entendre entre la Californie du Nord, celle de la Silicon Valley, et la Californie du Sud, celle d’Hollywood.
Cet affrontement entre deux cultures oppose des organisations – les grands studios – dont la raison d’être est de montrer leurs produits au plus grand nombre possible de spectateurs à des multinationales pour qui l’entertainment est soit un produit d’appel (c’est le cas de Prime Video, qu’Amazon propose aux plus pressés de ses acheteurs, en plus du raccourcissement du délai de livraison), soit une matière première destinée à couler dans les tuyaux (ceux d’ATT, le géant des télécoms qui a racheté Warner, par exemple) ou à être consommée sur les appareils (smartphones, tablettes, ordinateurs…) de la firme.
La priorité est alors de préserver la stabilité des conditions de production de ces appareils et de ne rien faire qui puisse troubler la sérénité du marché. Dans la cour des grandes plates-formes, les mésaventures d’Apple TV + viennent régulièrement rappeler le poids de ces contraintes, inédites dans l’histoire d’Hollywood.
Le 13 décembre, l’iconoclaste chroniqueur médias du New York Times Ben Smith rapportait que Tim Cook, le PDG d’Apple, avait fait avorter un projet de série pourtant officiellement commandé par Apple TV+. Scraper s’inspirait de très près de la brève et spectaculaire histoire du site Gawker, spécialisé dans les scoops technologiques (dont le kidnapping, avant la levée de l’embargo, d’un nouveau modèle d’iPhone) et les révélations sur la vie privée des célébrités (dont l’homosexualité de Tim Cook, qu’il a ensuite publiquement revendiquée). L’ascension de Gawker a été brutalement interrompue par un procès pour violation de la vie privée, dont les plaignants étaient financés par un autre magnat de la Silicon Valley, Peter Thiel. Les créateurs de Scraper, des anciens du défunt site, ont été priés d’aller proposer ailleurs les épisodes déjà écrits.
Sans sexe et sans stupéfiants
On peut voir là l’expression d’une rancune personnelle. Mais aussi le souci de ne rien proposer aux abonnés qui puisse altérer l’image d’Apple, aussi lisse que la coque d’un iPhone neuf. Avant même le lancement de sa plate-forme, Tim Cook était déjà intervenu dans le choix de ses contenus. En 2018, le Wall Street Journal révélait qu’il avait interrompu la préproduction d’une série inspirée de la carrière du rappeur et producteur Dr. Dre. Ce dernier, avec son partenaire Jimmy Iovine, était pourtant en odeur de sainteté à Cupertino : les deux hommes avaient vendu leur marque de casque Beats à Apple, qui souhaitait ainsi donner un peu de « street credibility » à sa plate-forme musicale iTunes (devenue depuis Apple Music). Mais Tim Cook s’est aperçu que l’histoire de Dre ne pouvait se raconter sans sexe et sans stupéfiants.
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