Projet Azorian : ce plan secret et délirant de la CIA a coûté plus cher que d’aller sur la Lune !

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24 février 1968. Le K-129, un sous-marinsous-marin du 15e escadron de la flotte soviétique du Pacifique quitte sa base de Rybatchi, au Kamchatka. L’équipage part pour une mission de patrouille de routine. En pleine guerre froide, le K-129 fait partie de la flotte stratégique nucléaire et embarque trois missiles balistiques R-13 opérationnels. Avec son ogive d’une mégatonne de puissance, l’engin a de quoi vitrifiervitrifier une grande ville. Ayant atteint sa position prévue sur le 180e méridienméridien, le capitaine du K-129 émet un signal radio à sa base, conformément à la procédure. Mais, début mars, le submersible ne donne plus de nouvelles. Peu avant la fin du mois, une vaste mission de recherche et de secours maritime est lancée par Moscou. En vain… Le K-129 est finalement déclaré perdu en mer.

Incapable de retrouver l’engin malgré les efforts déployés, Moscou imagine tout bonnement que personne ne pourra y parvenir. Mais étant donné sa nature, ce remue-ménage en mer du Pacifique met la puce à l’oreille des États-Unis. La manœuvre est typique de la recherche d’un sous-marin en perdition. Il faut dire que 1968 fut une année noire pour les pertes de sous-marins. Quatre ont été portés disparus cette année-là. Un mois avant, la France avait perdu son sous-marin d’attaque Minerve au large de Toulon. 

Face à cette supposée catastrophe, la marine américaine disposait d’un atout que les autres n’avaient pas : un gigantesque réseau de postes d’écoute sous-marins baptisé Sosus. Ainsi, le 8 mars 1968, à 23 h 59, un son bref, caractéristique de la rupture de la coque d’un sous-marin, est enregistré. Les agents américains parviennent même à localiser l’événement autour de 40° de latitudelatitude nord et 180° de longitudelongitude ouest. Pour vérifier la présence de l’épave à l’endroit identifié, les Américains envoient sur place un sous-marin nucléaire d’espionnage appelé Halibut, qui localise précisément l’épave du K-129 à près de 5 000 mètres de profondeur et prend des clichés. Le navire gît sur le flanc, brisé en deux.

Opération Azorian, les explications d’une mission secrète aussi impressionnante que farfelue. © Dark Docs

Échoué à près de 5 000 mètres de fond !

Les États-Unis n’ont rien dit de leur découverte et tout aurait pu s’arrêter là. Mais, en 1970, le gouvernement américain a l’idée de monter une opération de récupération de l’épave du K-129 et plus précisément la section avant où se trouvent les missiles nucléaires. À la manœuvre, la CIA espère également mettre la main sur les livres des codes soviétiques pour pouvoir déchiffrer les communications militaires. Renflouer un navire n’est pas inédit, mais à une telle profondeur, cela reste impossible avec les techniques disponibles. Pour comparaison, même en 2001, le sous-marin russe Koursk avait été renfloué avec difficulté à une profondeur de 108 mètres.

Les États-Unis se lancent alors dans une opération extrême, mais de façon encore plus folle que l’on peut imaginer. La mission porteporte le nom de projet Azorian et reste secrète jusqu’à une fuite improbable quelques années plus tard. Pour réaliser ce projet de récupération, il faut d’abord être discret et ne surtout pas attirer l’attention des Soviétiques. Les Américains misent sur un plan totalement délirant autant sur la forme que dans sa communication auprès du public. Ils construisent d’abord un gigantesque navire à vocation civile doté d’un vaste bassin à l’intérieur.

Long de 189 mètres, le navire pouvait faire penser à un grand bateau d’exploitation minière en haute mer. Avec ses puissants moteurs, il pouvait déplacer 50,5 tonnes. Mais le plus fou, c’est que pour remonter l’épave du sous-marin, Lockheed Martin construit également un châssis doté d’une double pince géante de 2 000 tonnes. Sa structure devait être descendue via un tuyau pesant 2 000 tonnes pour rapporter du fond de l’océan l’avant du sous-marin qui pesait, à lui seul, 4 000 tonnes. Quatre piliers extensibles devaient permettre de stabiliser l’ensemble sur le fond de l’océan. De puissants jets d’eaux devaient aussi servir à déblayer l’étrave du sol. Pour faire passer la mission comme expédition civile, la CIA a alors une idée encore plus surprenante, mais suffisamment crédible auprès du public et surtout auprès du Kremlin.

Quand la CIA invente une légende folle, mais crédible

Pour justifier la présence de cet étrange engin et de ses manœuvres en mer du Pacifique, le narratif décidé par la CIA tournait autour d’un projet minier de collecte de manganèsemanganèse dans les fonds marins. Une histoire farfelue qui a sans doute tenu car la personne qui était censée porter le projet était tout aussi farfelue ! Pour endosser la paternité de cette mission, les agents de la CIA sont allés proposer ce projet de recherche minière à Howard Hughes. Célèbre à l’époque, l’ex-milliardaire vivait alors reclus dans son hôtel. Ses projets extravagants étaient connus de tous. Il a conçu des avions de course, dépensé des fortunes dans le cinéma, et construit le Spruce Goose, l’avion le plus grand du monde qui n’a volé qu’une fois. Hughes, qui ne connaissait pas la réalité du projet Azorian, a accepté de donner son nom à cette mission d’extraction minière. La CIA s’est même servie de sa société pour blanchir les fonds nécessaires au financement du projet.

Pour renforcer la crédibilité de l’opération, le navire a donc porté le nom de Hughes Glomar Explorer. La population américaine, tout comme les Soviétiques, a été bernée. Si le navire pouvait être présenté au public, sa barge avec ses pinces spéciales n’avait absolument rien à voir avec un engin destiné à la récupération de nodules de manganèse. Un dôme a donc été construit pour le dissimuler avant son départ en mer.

Pour le jour « J », l’équipage d’origine, qui avait validé les tests en mer, est remplacé par un autre adoubé par la CIA, spécialisé dans la véritable mission. Les équipements secrets sont également embarqués. Et le reste est encore plus fou, puisque le renflouement a fonctionné… ou presque. Le 4 juillet 1974, le Hughes Glomar Explorer s’est rendu à l’endroit où avait été localisée l’épave du K-129. Le navire était quand même surveillé de près par les Soviétiques, mais ces derniers n’ont jamais pu percevoir la réalité de ce qui se passait sous l’eau, jugeant impossible la récupération du K-129.

Illustration de la structure de récupération en train de remonter la section avant de l’épave de K-129. © CIA

Le 31 juillet, la structure de récupération sous-marine a réussi à agripper la partie avant du K-129 et à la remonter lentement. Mission accomplie… ou presque, puisque l’épave se déplaçait dans les pinces, exerçant une trop grande contrainte. Quelques jours plus tard, plusieurs éléments de cette pince ont cédé et la section prélevée s’est brisée en deux. Les deux tiers de la capture ont donc été perdus, seuls les compartiments torpilles et batteries du sous-marin soviétique subsistaient. Les précieux missiles nucléaires et les livres de codes ont donc rejoint à nouveau les fonds marins. Dans le module récupéré, six corps de marins ont aussi été retrouvés, ces derniers ont eu droit à des funérailles secrètes.

Cette opération délirante a coûté l’équivalent de près de 5 milliards de dollars actuels, soit plus que la mission ApolloApollo ayant envoyé l’Homme sur la LuneLune. Ce projet top secret et complètement fou a aussi été un échec, mais il a démontré que la CIA disposait de moyens totalement démesurés pour parvenir à ses fins. Des moyens qui n’ont d’ailleurs pas empêché l’affaire de fuiter quelques années après lors d’une enquête publiée par le Los Angeles Times. Mis au courant par voie de presse, le Kremlin a incité fortement le gouvernement américain à ne plus rien tenter autour de l’épave du K-129, sous peine de représailles musclées. Avec la fin de la guerre froide et le déclin de l’Union soviétique, cette incroyable histoire a été oubliée. Le Hughes Glomar Explorer a, quant à lui, réalisé quelques missions de forage, avant d’être démantelé en chine en 2015.

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