Faire voler un bombardier stratégique de façon illimitée, c’était le rêve de l’armée américaine dans les années 1940. Le potentiel de l’énergieénergie nucléaire fascinait les militaires américains et, alors que le projet Manhattan était lancé, la question s’est rapidement posée de propulser un bombardier par une motorisation nucléaire.
Il faut dire que, durant le développement de la bombe atomique, les ingénieurs se sont concentrés longtemps sur l’impact des radiations sur une plateforme volante et son équipage. Alors pourquoi ne pas aller plus loin et permettre à un bombardier de voler plusieurs semaines, comme un sous-marin à propulsion nucléaire peut rester sous l’eau plus d’un mois.
Cela aurait donné aux États-Unis un avantage stratégique significatif durant la guerre froide naissante. Eh bien, ce projet un peu fou de propulsion aérienne nucléaire a bel et bien existé et il a réellement débuté au début des années 1950. C’était le programme Aircraft Nuclear Propulsion (ANP), lancé par l’US AirAir Force et la Commission de l’énergie atomique des États-Unis.
Les scientifiques ont d’abord cherché quelle pourrait être la technologie de propulsion nucléaire la plus adaptée. Deux approches principales ont été abordées pour celle-ci, avec autant de prototypes de moteurs : le réacteur à cycle direct et le réacteur à cycle indirect.
- Dans le cycle direct, l’air passait directement à travers le réacteur nucléaire via le compresseur. Il y était chauffé par le cœur du réacteur avant d’être expulsé pour produire une poussée avec la tuyèretuyère.
- Dans le cycle indirect, un fluide caloporteurfluide caloporteur transférait la chaleurchaleur du réacteur à l’air, réduisant ainsi le risque de contaminationcontamination radioactive. Mais comme il fallait faire simple et aller vite, ce fut le réacteur à cycle direct qui a été choisi.
Cette vidéo déclassifiée dans les années 1980 montre le programme ANP développé par l’US Air Force. © What is Nuclear
Une centrale nucléaire volante
Il s’agissait du HTRE-3. L’avantage de ce réacteur, c’est qu’il permettait de rendre hybridehybride le moteur. L’équipage pouvait réaliser le décollage et l’atterrissage avec un turboréacteurturboréacteur à carburant classique pour passer à l’énergie nucléaire dès que le cœur atteignait sa température opérationnelle. Les ingénieurs avaient également choisi ce procédé, car il était jugé moins dangereux en cas de crash, puisque seuls les turbopropulseurs classiques fonctionneraient dans ces phases de vol.
Après les avancées technologiques sur la propulsion, vint le gros défi du blindage contre les radiations pour protéger l’équipage ainsi que les instruments de navigation. Dans un premier temps, les ingénieurs ont souhaité se contenter de blinder le réacteur en ajoutant des couches de cadmiumcadmium, de paraffine, d’oxyde de bérylliumbéryllium et d’acieracier. Judicieux, mais pas du tout efficace. Toute la massemasse était concentrée sur ce seul réacteur, ce qui rendait l’avion trop instable.
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Alors, il a été décidé de blinder à la fois le réacteur et la cabine de l’équipage pour mieux répartir les masses. Après avoir mis au point ce plan d’attaque, il a fallu choisir un avion. Le choix s’est porté sur le bombardier lourd B-36 Peacemaker de Convair. Un avion gigantesque avec une envergure de 70 mètres, une longueur de près de 50 mètres et une hauteur de 14 mètres.
Il était capable de soulever une masse maximale de 186 tonnes et d’évoluer en croisière à 12 000 mètres d’altitude. Un exemplaire déclassé du B-36 fut mis à disposition pour exploiter sa cellule et le transformer en prototype. Les premières modifications de ce « NB-36 “Crusader” » ont porté sur le blindage de la cabine. Elle a été remplacée par un gros coconcocon de 11 tonnes revêtu d’une trentaine de centimètres de plombplomb et de caoutchouccaoutchouc. De l’eau a également été placée à l’arrière pour absorber les radiations. Le blindage était tellement épais que l’équipage a déclaré qu’il était pratiquement insonorisé !
La cabine blindée pour protéger l’équipage des radiations ressemblait à un gros cocon. Elle pesait 11 tonnes. © US Air Force
Les Soviétiques aussi
L’appareil a ensuite embarqué un réacteur nucléaire, le R-1, capable de délivrer un mégawatt. Il était refroidi au sodiumsodium liquideliquide et placé dans la soute à bombes de l’appareil. Mais, lors des essais en vol, celui-ci n’a jamais servi à le propulser. En revanche, il était actif et les 47 vols expérimentaux réalisés entre 1955 et 1957 ont surtout servi à contrôler la sûreté de l’appareil contre les radiations.
Lors de ces tests, plusieurs avions accompagnaient ce NB-36. L’un d’eux transportait même des parachutistes. Ils devaient sécuriser l’épave et nettoyer les débris radioactifs en cas de crash. Si tout semblait fonctionnel et sécurisé, le programme a été rapidement abandonné et enterré dans les années 1960. La faute au développement de bombardiers à grande autonomie équipés de moteurs conventionnels optimisés, comme le B-52.
Les populations américaines étaient également inquiètes qu’un réacteur nucléaire puisse les survoler. Enfin, les missiles balistiques intercontinentaux ont enfoncé le dernier clou du cercueil de ce programme.
Comment ont réagi les Soviétiques de leur côté en découvrant ce projet ? Eh bien, eux aussi, ils testaient des bombardiers à propulsion nucléaire. Ce fut le cas du Tu-95LAL qui a réalisé 40 vols d’essais jusqu’en 1969. Il semble qu’à l’époque, le Kremlin s’est moins soucié des effets des radiations. Le blindage ne fut pas suffisant pour épargner les membres de l’équipage qui seraient tous décédés.